Alternatiba-RhĂŽne va dĂ©poser au mois de janvier un recours contre la dĂ©cision de la prĂ©fecture de lui refuser une subvention en raison de ses actions de dĂ©sobĂ©issance civile. Une dĂ©cision annoncĂ©e Ă lâoral lors dâune rĂ©union Ă laquelle ne participait pas lâassociation, et qui ne lui a mĂȘme pas Ă©tĂ© notifiĂ©e.
Certains prĂ©fets ont-ils le contrat dâengagement rĂ©publicain honteux ? Le « CER », cette mesure phare de la loi sĂ©paratisme dâaoĂ»t 2021 censĂ©e engager les associations Ă respecter les valeurs de la RĂ©publique au risque de se voir retirer leurs subventions, est devenu pour certains reprĂ©sentants de lâĂtat un outil dont lâutilisation pose question.
Dernier exemple en date, la dĂ©cision de la prĂ©fecture du RhĂŽne de refuser une subvention de 3 500 euros Ă lâassociation Ă©cologiste Alternatiba-RhĂŽne en lui reprochant des « actions de dĂ©sobĂ©issance civile », mais sans lui notifier ce refus ni sa raison.
AprĂšs avoir finalement appris ce refus Ă la fin du mois de septembre, lâassociation a envoyĂ© un recours gracieux Ă la prĂ©fecture lui demandant de revenir sur sa dĂ©cision. Nâayant pas eu de rĂ©ponse deux mois plus tard, elle a dĂ©sormais la possibilitĂ© de saisir le tribunal administratif pour contester ce refus implicite. Lâassociation a ainsi mandatĂ© un avocat, Me Ădouard Raffin, qui travaille actuellement sur un recours qui sera dĂ©posĂ© au mois de janvier.
Câest lors dâune rĂ©union du collĂšge du Fonds dĂ©partemental de la vie associative (FDVA) qui sâest tenue le vendredi 12 mai que la dĂ©cision du refus de cette subvention a Ă©tĂ© annoncĂ©e par Vanina Nicoli, secrĂ©taire gĂ©nĂ©rale de la prĂ©fecture du RhĂŽne et prĂ©fĂšte dĂ©lĂ©guĂ©e pour lâĂ©galitĂ© des chances, aux treize autres personnes prĂ©sentes.
Difficile, plusieurs mois aprĂšs, de se rappeler les propos exacts qui ont pu ĂȘtre tenus. Trois participant·es contacté·es par Mediapart se souviennent dâune discussion tournant autour de la dĂ©sobĂ©issance civile et du contrat dâengagement rĂ©publicain (CER). Mais aucun nâest capable de restituer prĂ©cisĂ©ment les paroles de la prĂ©fĂšte ni de confirmer la raison du rejet.
SiĂ©geant en tant que dĂ©putĂ©e Les Ăcologistes (ex-EELV) de Lyon, Marie-Charlotte Garin est certaine dâavoir entendu parler de « dĂ©sobĂ©issance civile » et dâun « lien entre Alternatiba et lâaction de DerniĂšre rĂ©novation [une association Ă©cologiste dont des militants viennent alors dâĂȘtre condamnĂ©s pour avoir jetĂ© de la peinture orange sur la prĂ©fecture â ndlr] » : « On a eu beau expliquer quâil nây avait aucun lien entre les deux associations, elle a maintenu sa dĂ©cision. »
« Jâai pointĂ© que cela fait des annĂ©es quâAlternatiba menait des actions de dĂ©sobĂ©issance civile mais que cela nâavait jamais empĂȘchĂ© quâelle reçoive des subventions. Sa dĂ©cision Ă©tait donc bien une dĂ©cision politique, poursuit lâĂ©lue. Jâai Ă©galement soulignĂ© quâil sâagissait exactement des craintes de dĂ©tournement du CER sur lesquelles nous avions alertĂ© au moment de lâadoption de la loi sĂ©paratisme. »
Un compte rendu lacunaire
Le compte rendu de la rĂ©union que Mediapart sâest procurĂ© nâapporte pas beaucoup dâinformations supplĂ©mentaires. Il y est Ă©crit que « la prĂ©fĂšte indique que lâassociation Alternatiba est retirĂ©e des propositions de financement ». Le contrat dâengagement rĂ©publicain est bien Ă©voquĂ©, mais par les autres participants.
Ainsi, « en rĂ©ponse » à la prĂ©fĂšte, le reprĂ©sentant de la fĂ©dĂ©ration dâassociations Le Mouvement associatif, Gilles Champion, « dit quâil sâest opposĂ© Ă la signature du contrat dâengagement rĂ©publicain (CER) et demande son abrogation, lâassociation Alternatiba faisant dĂ©bat notamment sur ce terrain-là  ».
Lâassociation est Ă©galement soutenue par Florestan Groult, vice-prĂ©sident de la mĂ©tropole de Lyon chargĂ© de la vie associative, qui soutient les positions de Marie-Charlotte Garin et de Gilles Champion. En face, le dĂ©putĂ© Renaissance de Lyon Thomas Rudigoz « voit dans les actions de dĂ©sobĂ©issance civile un glissement politique dangereux » et « rappelle lâimportance de respecter le CER ».
Mais lorsque sont rapportés les propos de la préfÚte, le compte rendu ne donne à aucun moment le motif de sa décision de rejeter la demande de subvention.
Une « position problématique sur la désobéissance civile ».
Heureusement, un des participants permet dâen savoir plus sur ce quâil sâest exactement dit cet aprĂšs-midi du vendredi 12 mai. Dans lâassemblĂ©e rĂ©unie dans la salle Simone-Veil de la prĂ©fecture de Lyon, se trouvait en effet un sociologue, souhaitant rester anonyme, prĂ©sent dans le cadre dâun travail de recherche en cours. Et pour ce faire, ce chercheur a soigneusement notĂ© puis horodatĂ© les principaux Ă©vĂ©nements de la rĂ©union, avant de les reporter dans un fichier Excel que Mediapart a pu consulter.
On y apprend que câest Ă 16 h 10 que Vanina Nicoli a annoncĂ© sa dĂ©cision de retirer la demande de subvention dâAlternatiba-RhĂŽne en raison de sa « position problĂ©matique sur la dĂ©sobĂ©issance civile », selon les propos notĂ©s par le sociologue. La prĂ©fĂšte a alors invoquĂ© le CER, dĂ©clarant, toujours selon les notes du chercheur, que dans celui-ci « figure le devoir de ne pas porter atteinte Ă lâordre public ».
Le ton est alors montĂ©, plusieurs participants, dont Gilles Champion et Florestan Groult, exigeant que lâincident « soit notĂ© au compte rendu », tandis que Marie-Charlotte Garin dĂ©nonçait « une instrumentalisation du CER ». Ce nâest quâĂ 16 h 25 que « les Ă©changes se calment », rapporte le sociologue, et que la rĂ©union aborde un autre sujet.
Un pouvoir discrĂ©tionnaire de lâadministration
Se pose alors le problĂšme du fondement de ce recours. Il existe en effet en matiĂšre dâoctroi de subvention un pouvoir discrĂ©tionnaire des administrations. Toute collectivitĂ© a le droit dâaccorder ou de refuser une subvention sans avoir Ă se justifier et donc Ă motiver sa dĂ©cision.
Aussi, en lâabsence dâinvocation franche du CER, il nây a pas de dĂ©cision administrative attaquable. Et on peut comprendre que les prĂ©fectures soient rĂ©ticentes Ă lâinvoquer au regard de la jurisprudence naissante en la matiĂšre.
Lâun des premiers Ă avoir usĂ© du CER a Ă©tĂ© le prĂ©fet de la Vienne Jean-Marie Girier. Au mois de septembre 2022, celui-ci avait exigĂ© le remboursement dâune subvention versĂ©e par la mairie Ă lâantenne locale dâAlternatiba, au motif que lâassociation avait organisĂ©, durant un festival, un « atelier de dĂ©sobĂ©issance civile ».
Il motivait sa demande par le fait que la dĂ©sobĂ©issance civile violerait le premier engagement du CER, sur le « respect des rĂšgles de la RĂ©publique », qui interdit « dâentreprendre ou dâinciter Ă toute action manifestement contraire Ă la loi, violente ou susceptible dâentraĂźner des troubles graves Ă lâordre public ».
Le CER menacé par le juge administratif
Mais la mairie de Poitiers avait refusĂ© dâexiger ce remboursement et le prĂ©fet Girier avait saisi le tribunal administratif. Celui lâa dĂ©savouĂ© dans une dĂ©cision rendue jeudi 30 novembre prĂ©cisant la maniĂšre dont devait ĂȘtre interprĂ©tĂ© lâengagement du CER.
Ainsi, pour quâune subvention soit rejetĂ©e ou remboursĂ©e, « lâassociation ayant bĂ©nĂ©ficiĂ© de cette subvention doit avoir entrepris ou incitĂ© Ă entreprendre des actions non seulement âmanifestement contraires Ă la loiâ, mais Ă©galement âviolentes ou susceptibles dâentraĂźner des troubles graves Ă lâordre publicâ ».
Face Ă un possible dĂ©saveu du juge administratif, les prĂ©fets et les collectivitĂ©s choisissent de sâabriter derriĂšre leur pouvoir discrĂ©tionnaire pour refuser des subventions aux associations pratiquant la dĂ©sobĂ©issance civile, ou tout simplement trop critiques envers les autoritĂ©s.
Il est ainsi rare de voir officiellement invoquĂ© le CER dans les dĂ©cisions de refus de subvention. Ce fut pourtant le cas pour la compagnie Arlette Moreau, basĂ©e Ă Poitiers, dont le renouvellement dâune subvention a Ă©tĂ© rejetĂ© en raison dâ« engagements militants non conformes au respect des lois de la RĂ©publique » et violant le CER.
Cette prĂ©cision dans son dossier avait permis Ă la compagnie dâintroduire, au mois de septembre 2023, un recours en cours dâexamen. « Cette fois, au moins, nous avons le vrai motif », se rĂ©jouissait alors auprĂšs de Mediapart son avocat, Me Paul Mathonnet, qui soulignait la difficultĂ© Ă prouver que la vraie raison du refus est bien le CER. « Nombre dâassociations se voient retirer leurs subventions officiellement pour insuffisance de crĂ©dits », regrettait-il.
On nous disait que si nous voulions plus dâinformations, nous devions faire un recours.
Alex Montvernay, porte-parole dâAlternatiba-RhĂŽne
Ă titre dâexemple de ces refus suspects, le 9 aoĂ»t dernier, Le Monde évoquait lâexistence dâune « liste rouge » dâassociations engagĂ©es dans la lutte contre les bassines dans la zone du plateau de Millevaches et privĂ©es de subventions au prĂ©texte du CER, mais sans que celles-ci aient Ă©tĂ© informĂ©es.
Alternatiba-RhĂŽne, de son cĂŽtĂ©, nâa appris le rejet de sa demande de subvention quâau mois dâaoĂ»t. « Nous avons commencĂ© Ă Ă©changer avec la commission pour en connaĂźtre la raison, mais notre contact ne faisait que botter en touche, raconte Alex Montvernay, porte-parole de lâassociation. On nous disait que si nous voulions plus dâinformations, nous devions faire un recours. »
Ce nâest donc que de maniĂšre officieuse quâAlternatiba a appris lâexistence de cette rĂ©union du mois de mai durant laquelle sa demande a Ă©tĂ© rejetĂ©e.
ContactĂ©e par Mediapart, la prĂ©fecture confirme nâavoir « pas souhaitĂ© subventionner des actions de dĂ©sobĂ©issance civile portĂ©es par cette structure associative ». Elle souligne par ailleurs que le FDVA avait reçu 593 dossiers et que seuls 283 « ont bĂ©nĂ©ficiĂ© dâun financement ». « Proportionnellement, nous avons retenu plus de dossiers financĂ©s dĂ©diĂ©s Ă la thĂ©matique environnement et dĂ©veloppement durable que de dossiers prĂ©sentĂ©s en rapport avec ce secteur dâactivité », pointe-t-elle encore.
La prĂ©fecture nâa cependant pas souhaitĂ© confirmer les propos de la prĂ©fĂšte rapportĂ©s par le sociologue, ni dire pourquoi elle nâa pas officiellement invoquĂ© le CER ni nâen a informĂ© Alternatiba (voir en BoĂźte noire nos questions et les rĂ©ponses de la prĂ©fecture).
Un avis préalable favorable du FDVA
Un document de travail que Mediapart a pu consulter relativise les arguments de la prĂ©fecture. Les demandes de subventions auprĂšs du FDVA font en effet lâobjet dâune instruction Ă lâissue de laquelle chaque dossier se voit attribuer une note, composĂ©e dâune lettre et dâun chiffre, reflĂ©tant divers Ă©lĂ©ments, comme lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral de lâassociation ou encore le fait quâelle bĂ©nĂ©ficie ou non dâautres subventions, et dâune proposition de rĂ©ponse.
Mediapart a pu consulter ce document pour la rĂ©union du 12 mai et il apparaĂźt quâAlternatiba bĂ©nĂ©ficiait dâune note A-15, soit un niveau plus que correct. Celle-ci Ă©tait en outre accompagnĂ©e dâun avis positif sur sa demande. La dĂ©cision de la prĂ©fĂšte a donc Ă©tĂ© prise contre lâavis de lâinstruction
Quant aux actions de dĂ©sobĂ©issance civile, Alex Montvernay les revendique sans difficultĂ©. « Oui, nous avons recours Ă la dĂ©sobĂ©issance civile et nous lâassumons, affirme-t-il. Nous pensons que câest un mode dâaction indispensable qui permet de faire avancer la dĂ©mocratie lorsque tous les autres moyens ont Ă©chouĂ©. »
ConformĂ©ment au principe de non-violence intrinsĂšque Ă la dĂ©sobĂ©issance civile, les actions dâAlternatiba reposent principalement sur des blocages de sites, de voies de communication ou sur des actions symboliques. Durant lâannĂ©e 2023, lâassociation a ainsi bloquĂ© plusieurs sites industriels du groupe chimique Arkema, accusĂ© de rejeter dans lâeau des perfluorĂ©s (PFAFS), des substances qualifiĂ©es de « polluants Ă©ternels ».
Alternatiba-RhĂŽne sâest Ă©galement opposĂ© Ă lâinstallation dâun entrepĂŽt dâAmazon. Et plusieurs de ses membres ont participĂ© Ă des actions de dĂ©crochage de portraits dâEmmanuel Macron dans des mairies ou encore contre des installations publicitaires.
Concernant le refus de subvention, lâassociation « a dĂ©cidĂ© de ne pas se laisser faire et de faire un recours devant le tribunal administratif », reprend Alex Montvernay. « Vu la pente inquiĂ©tante que suit notre pays, nous ne pouvons pas accepter que soit rĂ©primĂ©e toute critique contre le pouvoir en place », ajoute-t-il.
Quâest-ce quâune simple tentative dâassassinat de maire par rapport Ă de violents dĂ©crochages de portraits du prĂ©sident ?
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